Nous vous présentons la librairie Le Manuscrit Français, spécialisée depuis 2018 dans la vente et l’achat de manuscrits et de photographies. Elle propose une sélection de lettres et de tirages d’écrivains, d’artistes, de scientifiques et de grandes figures historiques. Dans cet entretien, Laurent Auxietre relate son parcours dans le métier.
AU GRE DU HASARD
Je n’avais pas du tout vocation à devenir libraire. J’ai fait une école de commerce et me suis dirigé vers la vente de voitures de collection. Avec le recul, au fond, il y a quelques ressemblances ! Tout a commencé au gré du hasard. Un jour, je flânais aux puces de Saint-Ouen, et je suis tombé sur un brocanteur qui vendait divers écrits, dont des lettres de Louis XIV, d’Edith Piaf et de Danton. J’ai trouvé fabuleux d’être face à de tels documents historiques, signés d’une illustre main. J’ai donc acheté la lettre de Danton, qui datait de 1792. C’est ainsi que la machine s’est lancée. J’ai acquis d’autres lettres dans les domaines de la littérature et des beaux-arts, que j’ai conservées un certain temps.
Souhaitant en savoir plus sur la valeur de ces manuscrits, j’ai effectué des recherches en ligne. Je suis arrivé sur le site d’un ancien libraire du SLAM, Thomas Vincent. Je lui ai écrit et le contact est très bien passé. Il m’a alors enseigné les ficelles du métier et m’a encouragé à créer ma propre structure. Plus tard, j’ai rencontré Julien Paganetti qui m’a aussi beaucoup conseillé. Tous les deux m’ont appris à reconnaître un document de valeur et la valeur d’un document, ce qui m’a permis de mieux diriger mes axes de recherche pour me documenter. Je leur suis très reconnaissant.
TRAVAIL DE RECHERCHE
Peu de personnes savent que l’on peut acheter des lettres d’auteurs dont le succès n’a pas tari siècle après siècle. Je suis passionné par la littérature et la poésie, certes mais également par les beaux-arts et la musique. Ces deux domaines sont naturellement devenus mes spécialités.
J’aime à dire que la plus grande richesse d’une lettre n’est pas tant la lettre elle-même, mais les recherches approfondies qui l’accompagnent. Chaque document mérite un intérêt particulier ; bien sûr, un modeste billet ne requiert pas autant de soin qu’une longue lettre très dense. J’ai appris à mener de tels travaux sur le tas. Les analyses pointues passent par des éditions commentées – entre autres, la Pléiade –, des ouvrages critique, des lectures universitaires, et même des échanges avec d’éminents spécialistes. Tout ce qui apporte une plus-value quant à l’étude du document est également une plus-value pour la personne que je suis : chaque écrit est une mine de savoir tant littéraire qu’historique, la rencontre entre l’homme du passé et l’homme du présent. Avec en main une lettre tenue par expéditeur et destinataire, comment ne pas, moi aussi, me sentir de la partie ?
DECOUVERTES
A tire d’exemple, j’ai récemment acquis un précieux manuscrit d’Apollinaire du poème « Le Voyageur », tiré du célèbre recueil Alcools. Brouillon très raturé et en partie inédit, il est enrichi de croquis et d’un superbe dessin de facture cubiste représentant deux matelots. C’est le plus ancien et le seul manuscrit de ce texte encore en mains privées.
Je me suis aussi procuré une large partie de la correspondance de Sand à Delacroix, qui ont échangé pendant près de trente ans. Ils y parlent de Chopin, de peinture et d’écriture. Ayant la toute première lettre et de nombreuses autres, je lis avec passion l’évolution des sensibilités, le tout devenant comme deux journaux intimes mêlés. Je me sens alors comme le troisième interlocuteur, le destinataire posthume et peut-être ultime.
LE SALON DU LIVRE RARE
Rien de ce qui figure dans mon stock n’est destiné à y rester. Je ne suis pas collectionneur mais marchand, et pars du principe que l’on ne peut pas être les deux à la fois. Le plaisir de mon métier réside aussi en ce qu’il enrichit de belles collections ou aide à en créer.
Je publie un catalogue par an, peu avant le Salon du livre rare, au Grand Palais. Y sont exposées des pièces minutieusement choisies, souvent d’une insigne rareté et d’une très grande valeur. C’est pour moi un moment de charnière de l’année et à bien des égards.

Entretien mené par Romane Fraysse
Photographies de Camille Pradel de Lamaze

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