Si Anne Branger a créé récemment la Libraire du Moulin, sa pratique de la librairie ancienne et son amour des livres ne datent pas d’hier ! C’est avec passion qu’elle nous décrit son riche parcours entre Strasbourg, Billom et Brioude.
La genèse : une jeunesse dans les livres
Je suis née à Strasbourg au temps des livres. La télévision existait certes, mais n’était de loin pas encore dans tous les foyers. Il y avait dans l’immeuble d’à côté un magasin Locatel qui louait aux particuliers, pour une journée, une semaine ou un mois, des téléviseurs noir et blanc, et certains soirs de match de football, ma sœur et moi observions par la fenêtre de sa chambre un attroupement de messieurs devant la vitrine, regardant les téléviseurs allumés diffusant le match. Le monde presque sans écran, le temps des livres.
Nous vivions dans un appartement au-dessus de la grande librairie moderne que mon père dirigeait. Inutile de dire que l’apprentissage de la lecture fût un instinct naturel, avec tous ces ouvrages qui nous entouraient. Petite, je jouais à cache-cache dans les réserves, avec des piles de livres qui me dépassaient d’un bon mètre et qui sentaient encore l’encre et la colle fraîche. Nous jouions dans la poussière du grenier qui servait de lieu de stockage des Editions Oberlin. Les livres anciens de la bibliothèque qui me faisait face en sortant de ma chambre m’intriguaient tant que je me risquais à en ouvrir quelques-uns. J’y découvris non seulement la lecture, mais aussi la diversité du monde de l’édition, tentant - avec perplexité parfois - de déchiffrer la verve rabelaisienne de La vie très horrificque du grand Gargantua père de Pantagruel (en moyen français), ou quelques volumes en langue allemande imprimés en caractères gothiques. Ma soif de lecture pouvait être facilement étanchée par un passage quotidien dans les rayons de la librairie, où je pouvais emprunter et lire tout ce que bon me semblait, à la condition de les manipuler sans casser la reliure, ni corner ou tacher aucune page.
C’est sans doute ainsi qu’est né pour moi l’amour des livres.

L’exode : une vie parmi les mots
Curiosité et maîtrise des mots sont la clé d’une scolarité facile, faisant sans doute la fierté de mes parents, devenus tous deux libraires après que ma mère eut quitté son poste d’institutrice pour la librairie ancienne. Me voilà donc en marche pour de longues études, et diplôme d’école de commerce en poche, au service pendant de nombreuses années de grands groupes internationaux agro-alimentaires, déménageant régulièrement au gré de mes mutations et nominations, et de celles de mon conjoint. C’est ainsi que la vie nous amena à Paris. C’est à cette époque que j’ai décidé de revenir aux livres. Associée à un confrère de province désireux de tenir boutique à Paris, nous avons tenu ensemble pendant plusieurs années une librairie ancienne Boulevard de Port-Royal, jusqu’à ce que les travaux de la ville de Paris et une énième mutation maritale nous ramènent en Auvergne, dans la maison de campagne que nous avions restaurée.
Dans la petite ville de Billom toute proche, une librairie avait fermé quelques mois auparavant. Je la connaissais pour avoir fréquenté parfois ses rayons le week-end, avant que les horaires d’ouverture ne deviennent erratiques puis inexistants.
Quand l’affaire fût proposée à la vente à la barre du Tribunal de Commerce, je finançais l’acquisition et ouvrais quelques mois plus tard en 2006 la troisième librairie de la famille, proposant livres neufs et livres anciens dans cette petite ville de 5000 habitants. Le succès fût au rendez-vous, pour la plus grande joie des habitants de cet endroit qui a vu naître Georges Bataille.
En 2011, les activités professionnelles de mon mari grandissant, j’ai décidé de le rejoindre dans la gestion de ses entreprises. C’est ainsi que j’ai cédé la librairie à ma jeune salariée de 23 ans, Morgane, devenue ainsi la plus jeune libraire indépendante de France. Toutefois, avec mon mari, il était convenu qu’en plus de mes activités auprès de lui, je puisse conserver mon métier de libraire en chambre, et continuer de vendre mes livres anciens lors des salons. C’est ainsi qu’est née la Libraire du Moulin, hommage à la bâtisse de 1709 que nous occupions alors.

En dessert, un avenir dans les lettres
Juste avant le confinement, mon mari a souhaité prendre une retraite bien méritée, et nous avons vendu toutes nos activités, sauf la librairie que je continue de faire vivre, malgré une disponibilité limitée par ses pépins de santé. J’ai la chance de pouvoir maintenant exercer mon métier par pur plaisir, cultivant curiosité, originalité et ouverture d’esprit en toute indépendance. J’y cultive l’éclectisme, la différence et l’art de voir, pour rendre hommage à l’enseigne d’anciens confrères respectés, et à Aldous Huxley, « car apprendre à mieux voir, c'est apprendre à mieux vivre. Non seulement mieux vivre avec les autres, mais aussi mieux vivre avec soi- même ».
Malgré cette volonté d’indépendance, il s’est imposé à moi d’adhérer aujourd’hui au Syndicat de la Librairie Ancienne et Moderne, héritière d’un parcours marqué par l’héritage familial et l’expérience de la librairie. Quand j’étais libraire à Billom, je fus à l’origine de la création, puis présidente, de l’association des Libraires Indépendants en Région Auvergne, dont le but était de porter la voix des libraires indépendants, de mettre en place des formations qualifiantes pour eux ou leurs employés et de proposer des animations culturelles qualitatives dans les librairies indépendantes, ou en partenariat avec elles. Je sais d’expérience combien il est important de faire entendre auprès des institutions, de nos clients et du public, la voix de notre profession, moins en termes d’intérêts à défendre qu’en termes d’arguments et d’avantages à faire valoir. C’est au service de mes confrères et de notre si beau métier que j’entends aujourd’hui me consacrer.


Anne Branger
Librairie du Moulin
B.P. 6, 43100 Brioude

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