Nous vous présentons la librairie Sur le fil de Paris, spécialisée depuis 2014 dans la vente et l’achat d'ouvrages consacrés à la Ville-Lumière. Située en plein coeur du Marais, elle propose une sélection de livres, plans, affiches, guides, photographies ou cartes postales. Dans cet entretien, Christelle Gonzalo évoque son parcours dans le métier et son amour pour la capitale.
PARIS, UNE PASSION 
A la suite de ma maîtrise d’histoire, j’ai travaillé pour des héritiers d’écrivains : Jacques Prévert et surtout Boris Vian. En parallèle, j’étais employée dans une librairie de neuf, mais j’avais envie d’avoir un contact plus direct et plus pérenne avec les ouvrages que je vendais. Je me suis progressivement dirigée vers les livres anciens. A cette époque, j’habitais dans le Marais, quartier qui me passionnait par son histoire ; j’ai commencé à éditer à compte d’auteur des plaquettes racontant l'histoire des  rues alentours : je faisais moi-même les maquettes, je piochais des passages dans des livres que j'avais achetés, je sélectionnais des illustrations, des plans et des photographies. J’avais alors constitué une petite bibliothèque parisienne sans m'en rendre compte.
J'ai mis en vente ces plaquettes à la librairie La Belle Lurette, rue Saint-Antoine, et le succès fut immédiat. Ma spécialité allait donc de soi : c’était Paris. Depuis petite, cette ville m’avait toujours fait rêver. J’ai donc trouvé ce petit local au cœur du Marais et j’ai commencé en 2014 à proposer à la vente toutes sortes d’ouvrages en lien avec la capitale.

UN METIER EMPIRIQUE
Ma librairie met en vente un large panel de documents : livres, plans, cartes postales, affiches, guides, photographies, estampes, dépliants publicitaires ou aquarelles. Il s’agit avant tout de documents historiques, essentiellement du XVIIIe au XXe siècle, permettant de retracer l’évolution de Paris. On s’étonne parfois de découvrir dans l’image d’une rue les traces d’un vieux cinéma désormais disparu. D’autres fois, il est compliqué de reconnaître l’endroit en question : c’est comme une grande énigme à résoudre.
Je reçois de temps en temps des clients qui m’apportent eux-mêmes des ouvrages rares, provenant de leur collection ou d’un héritage, il m'arrive également de tomber par hasard sur des ouvrages que je ne connaissais pas, ou de rêver de livres que je n’aurai jamais. Il y en a certains que j’avais toujours voulu avoir avant de devenir libraire, comme le superbe Banalité de Léon-Paul Fargue, avec ses photographies et ses réogrammes. Un beau jour, je suis tombée dessus dans une brocante ! Peu à peu, on découvre ainsi les techniques et les subtilités du livre ancien en découvrant de nouveaux ouvrages. C’est avant tout un métier de passion, qui s’apprend au fur et à mesure des expériences.
DEUX TEMOIGNAGES DU VIEUX PARIS
Il y a un ouvrage que je trouve assez amusant : Le Treizième arrondissement de Paris par Louis Lurine, qui date de 1850. Il ne fait pas référence au quartier parisien que l’on connaît aujourd'hui, mais  à un arrondissement fictif, imaginé du temps où Paris était divisé en douze sections. C’est donc l’histoire d’un lieu fantôme, une zone floue abritant les amours cachées de la Ville, et l’auteur s’amuse à faire une peinture humoristique des mœurs de l’époque. On disait par exemple « les mariés du 13e arrondissement » pour parler de couples illégitimes ! En 1859, à l'occasion de l’annexion par Paris des arrondissements excentriques, un auteur anonyme surnommé « messire Arlequin » fait alors directement référence à cet ouvrage en publiant Le 21e arrondissement. Il n’a pas le talent de Lurine, mais l’exercice est drôle. C’est un ensemble de petites anecdotes, d’historiettes contées et de caricatures des parisiens de l’époque.
Et cette gravure sur cuivre d’Antoine Aveline, datant de 1680-1690, présente Paris vu en hauteur depuis Belleville. On découvre un amas d’églises et de champs. Elle a été aquarellée de manière peu délicate, mais reste assez précise avec la numérotation des différents monuments légendés en contrebas. On peut passer des heures à comparer l'évolution de l'architecture de la ville au fur et à mesure des siècles.

LA LIBRAIRIE, UNE CULTURE FRANCAISE
Quand on voyage, on se rend compte que la France a un attachement très profond au livre. Internet a fait disparaître beaucoup de librairies physiques dans le monde. On en trouve finalement peu – et de moins en moins – dans les autres pays. Beaucoup de libraires incitent de plus les visiteurs à découvrir leur stock sur internet et non plus dans leur boutique. En France, il s’est créé un véritable mouvement de protestation lorsque l’Etat n’a pas considéré la librairie comme un commerce essentiel durant le premier confinement. Lorsqu'on a obtenu ensuite le droit de rester ouverts, je ne me suis pas faite prier et ma librairie a reçu beaucoup de visiteurs et de clients solidaires durant cette période. Il n'y a probablement qu'en France que l'on a pu voir ça.
Je rencontre aussi à la librairie beaucoup de parisiens qui viennent me poser des questions sur leurs quartiers, curieux de l'histoire des rues dans lesquelles ils habitent. Les touristes cherchent quant à eux davantage de l'image, des  gravures, des plans ou des cartes postales du vieux Paris ; celles-ci comportent souvent des écritures au dos, ce qui les amuse beaucoup.

LE CATALOGUE, UNE CREATION DES LIBRAIRES
Publier des catalogues est un exercice qui me plait beaucoup. Rassembler des documents sur une thématique et raconter une histoire à travers eux.  J’aime cet exercice créatif, où je peux allier mon intérêt pour la création de maquettes et la découverte de nouveaux ouvrages ! Je fais tout de A à Z : les photos, les textes et la mise en page. L'idée est souvent de trouver un angle de lecture singulier, relié à un fil directeur commun pour donner envie de découvrir un livre ou un document. Les curieux et les collectionneurs de catalogues peuvent se les procurer sur place ; le reste est envoyé aux clients et aux collègues. Il m'arrive parfois d'organiser des expositions à la librairie, en présentant sur place un choix de documents autour de la thématique d'un catalogue, ce qui fait venir dans la boutique des personnes nouvelles.
En ce moment, je travaille à un catalogue dédié aux piétons de Paris. Comparer les visions d'écrivains des XIXe et XXe siècles, chacun contant ses impressions lors de promenades en ville, est très amusant et instructif. Pour les dix ans de la librairie, en 2024, j'ai l'intention de préparer une exposition intitulée « Ciel, mon Marais ! ». Je récolte depuis des années des documents de toute nature sur le quartier. C’est intéressant d'essayer de rendre le passé vivant, et Paris est pour cela un fascinant terrain de jeu.

Entretien mené par Romane Fraysse
Photographies de Camille Pradel de Lamaze

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